Les crises politiques successives,
quelle qu’en soit la raison, n’ont rien apporté à l’économie,
sinon la récession.
Avec des réflexions posées et des propositions bien dosées, Andrianavalomanana Razafiarison, Président du Fivondronan’ny Mpandraharaha Malagasy, Fivmpama, analyse la situation économique actuelle à tête reposée.
Comment les membres du Fivmpama ont-ils survécu à la crise sanitaire du coronavirus?
Comme les autres acteurs de la vie économique, nos 5000 membres, avec une large majorité de PME ont aussi souffert des conséquences directes ou induites de la crise sanitaire qui perdure, du reste. Depuis la reprise, ils ont beaucoup misé sur la ligne de crédit Miarina, supportée par le projet présidentiel Fihariana, doté d’une enveloppe globale de 50 millions de dollars. Ce soutien financier a été conçu pour faciliter l’accès aux crédits de trésorerie des PME, avec un taux d’intérêt bonifié 9% l’an. Il a été stipulé dans le contrat type, que Fihariana supporte à hauteur de 100% les garanties. Mais avec une autre disposition qui laisse aux banques associées d’exiger « des garanties usuelles à leur libre appréciation en fonction de leur analyse du risque ». Cette autre disposition a entraîné les banques à exiger des garanties hypothécaires immobilières. Beaucoup parmi nos adhérents n’ont pas pu ainsi bénéficier du crédit Miarina. Il est opportun de se pencher sur l’adoption du projet de loi sur les sûretés mobilières, une autre alternative aux garanties hypothécaires. Le soutien aux PME qui constitue un peu plus de 90% des acteurs économiques s’avère indispensable pour le maintien des activités qui touchent essentiellement la classe moyenne: c’est un antidote contre la paupérisation généralisée de la population.
Le Président du Groupement des entreprises de Madagascar, GEM, Thierry Rajaona, veut intensifier les pourparlers avec les décideurs politiques. Qu’en pense le Président du FIVMPAMA ?
J’adhère volontiers avec une telle démarche qui s’apparente à une approche constructive. Je rappelle que le Dialogue public-privé, DPP, a été institué par un décret présidentiel en 2015. Je pense que le DPP ne doit pas être des rencontres sporadiques et parcimonieuses pour chercher des solutions ponctuelles à des problèmes passagers. Le DPP, à mon sens, devrait plutôt se transformer, se muer à une concertation permanente et régulière. Pour qu’ensemble, les secteurs public et privé puissent trouver les voies et moyens pour faire face aux séquelles laissées par la crise sanitaire sur les activités économiques. Nous sommes dans une situation extrêmement difficile. Je dirais que le pays a besoin d’un véritable élan national pour s’en sortir. Ce qui me paraît logique, un acte salutaire en soi.
À quels niveaux vous allez intervenir?
Nous sommes disposés à participer à la réflexion et à l’élaboration de la Loi de finances rectificative 2021 et le Budget initial pour 2022. Souvent, le Gouvernement a ses propres idées. Il doit en avoir. Mais par l’entremise du DPP, il est possible de les améliorer ou de les compléter avec à la clé, un planning de mise en œuvre des décisions prises en commun accord, sur l’Administration douanière, sur le régime fiscal et le dialogue social, par exemple. J’espère que le temps « d’être écouté sans être entendu » est bel et bien révolu. Passons aux concertations collectives en vue d’idées de construction.
Le secteur privé a-t-il des remèdes aux maux qui rongent l’économie aujourd’hui ?
Nous sommes en mesure de concevoir, de définir et d’orienter un schéma ou un modèle économique. Nous avons toujours participé d’une manière ou d’une autre, à l’élaboration des divers Plans pour rendre l’économie plus efficiente et efficace à la population : du Document-Cadre de Politique Économique, DCPE, au Plan National de Développement, PND, en passant par le Madagascar Action Plan, MAP, la Stratégie Nationale de Relance durant la dernière Transition. C’est pour vous dire que les opérateurs économiques, à travers les Groupements Professionnels, ont fait abstraction des considérations à connotations politiques. Ils ont apporté, en toute neutralité objective, leurs contributions pour le bien de la Nation. Je suis convaincu, sans prétention aucune, que nous avons notre part de briques à apporter à l’édifice de la relance que tout le monde attend. Je dirais même que nous avons des arguments en béton pour le solidifier.
Vous avez été sollicité pour la conception du Plan émergence de Madagascar, PEM?
Pour une fois dans le cas d’espèce, et je regrette de le dire, nous n’avons pas été sollicités à y prendre part. La présentation du PEM devant les Partenaires Techniques et Financiers, PTF, a été programmée pour le 19 janvier 2021, mais elle a été reportée sinedie. Depuis ce report, comme tout le monde, nous ignorons le contenu de ce dossier censé être le cadre référentiel de développement de notre pays. Par cette absence de visibilité, nous naviguons à vue. Aussi, le Plan Multisectoriel D’Urgence, PMDU, avancé et proposé en juillet 2020, reste toujours en vigueur alors que nous sommes presque à mi-mandat présidentiel. J’ai comme l’impression qu’il existe une confusion sournoise entre promesses présidentielles, en tant que littératures politiques, et programme de développement économique. Il n’est pas facile, sinon il est difficile d’y voir un peu plus clair.
Des opposants s’engouffrent dans la brèche et prévoient de renverser le régime en place?
Il est tout à fait normal que des politiciens, des économistes ou des simples citoyens font des critiques ou émettent des réserves, cela fait partie des débats démocratiques. Les actions des opposants doivent être perçues comme des balises aux risques de dérives des dirigeants. L’opposition peut incarner ainsi une force d’interpellation. Mais quand elle se glisse vers le radicalisme par des actes subversifs anticonstitutionnels, un coup d’État en l’occurrence, aucun citoyen sensé ne peut cautionner un tel scénario. Si jamais il se réalise, cela ne peut qu’empirer la situation déjà catastrophique du moment. Les crises politiques successives, quelle qu’en soit la raison, n’ont rien apporté à l’économie, sinon la récession. Il est déplorable que dans des pays où les institutions sont relativement fragiles, ils deviennent un terrain de lutte d’influence géostratégique.
L’autre grief des opposants à l’encontre des dirigeants concerne les circonstances non-élucidées de « l’envoi » de 73,5 kilos d’or en Afrique du sud. Vous en attendez quoi de l’enquête en cours?
Le Président de la République, Andry Rajoelina en personne a déclaré que « tous ceux, commanditaires-hommes de mains- exécutants- complices, impliqués de près ou de loin dans ce trafic scandaleux vont être sanctionnés ». L’opinion publique souhaite que le Président de la République aille jusqu’au bout dans ses louables intentions, que les poursuites aboutissent à l’arrestation des coupables, surtout les commanditaires. Ce serait un signal fort envoyé aux bailleurs de fonds, aux pays coopérant avec Madagascar, aux investisseurs, et à la population malagasy que la lutte contre la corruption n’épargne personne. Dans ce cas, la bonne gouvernance ne serait pas un vain mot.
À propos de géostratégie, des médias étrangers insinuent que le pouvoir en place est en panne d’ambassadeurs. Votre point de vue sur ce sujet délicat et sensible ?
C’est bien dommage que le pays ne soit représenté dans des capitales ou des instances internationales où des décisions importantes de dimension planétaire sont prises. Cela constitue un réel handicap. Les ambassades, dans le contexte de mondialisation, ont désormais des vocations et missions économiques en jouant le fer de lance de l’économie là où elles opèrent. Les ambassadeurs, quant à eux, à l’heure où les affabulations sur les réseaux sociaux peuvent dépeindre l’image de Madagascar à travers le monde, ont intérêt à rassurer leur pays hôte. Voilà pourquoi ils sont si précieux sur l’échiquier diplomatique et économique.
Quand même un Accord avec le Fonds Monétaire International, FMI, est sur le point d’aboutir où 320 millions de dollars au titre de la Facilité Elargie de Crédit sont attendus ?
Il s’agit d’un passage obligé. Pour deux raisons au moins : d’abord cela crédibilise le Gouvernement aux yeux de la communauté des bailleurs de fonds, ensuite, le feu vert du FMI peut rassurer les investisseurs potentiels désireux de venir s’installer. Madagascar devient plus fréquentable par ce cachet du FMI. Je suis même un peu étonné qu’il a fallu deux ans au Gouvernement pour se rendre compte de la nécessité de renouer le fil conducteur avec le FMI. Cela étant, ces subsides du FMI ne suffisent pas à financer le développement quoiqu’ils soient nécessaires et utiles pour les motifs que j’ai évoqués.
La Banque Mondiale, un autre bailleur de fonds omniprésent et omnipotent, exige l’application de la formule Optima pour les facturations de l’électricité de la Jirama. Vous en dites quoi?
La tarification Optima a été un des points importants du Plan de redressement de la Jirama élaboré en 2019. La Jirama propose actuellement une troisième version avec l’ajout d’une grille intermédiaire. On espère que ce sera la bonne. On espère aussi que les industriels arriveront à trouver leurs comptes. Je me pose alors une interrogation par une lecture simple de son exposé de motif. Ce système tarifaire vise à majorer les factures des ménages aisés parmi les abonnés et à minorer celles des foyers à faibles revenus. Je ne vois pas pourquoi ne pas l’appliquer dans sa lettre et dans son esprit ? Et l’Optima a pour objectif de permettre à la Jirama d’atteindre son point d’équilibre financier car l’État ne pourra lui débourser indéfiniment des milliards d’Ariary de subventions, 800 milliards d’Ariary en 2020. La caisse de l’État ne pourra pas la supporter. Aussi, suspendre ou abandonner l’Optima, c’est renoncer à la péréquation des tarifs des abonnés, un premier pas vers plus d’équité sociale. En outre, c’est hypothéquer l’avenir de la Jirama. Avec la poursuite des ventes à perte, elle n’aura pas assez de fonds propres pour investir dans des nouvelles infrastructures de production. Chemin faisant, la Jirama devra arriver à l’excellence opérationnelle par la qualité des services qu’elle offre, moins de coupures d’électricité et d’eau pour ses abonnés.
Eric Ranjalahy